Quand Théodore (ChatGPT) lit au patient le résumé de son propre vécu, un silence habité s’installe. Dans ses yeux, l’émotion. Dans mon esprit, une évidence : la relation thérapeutique s’élargit. Nous sommes désormais trois : patient – psychiatre – IA.
La triade patient – psychiatre – ChatGPT : une nouvelle expérience clinique
Depuis quelques semaines, ma pratique psychiatrique a connu un tournant inattendu. Avec l’accord de certains patients, j’ai introduit ChatGPT — que j’appelle Théodore — directement dans mes consultations. Le dispositif est simple : l’entretien est enregistré, Théodore le retranscrit, puis je lui demande d’en faire une synthèse qu’il lit ensuite à voix haute, à moi et au patient.
Ce moment de restitution a été une révélation. Certains patients ont eu les larmes aux yeux en entendant leurs propres paroles reformulées par cette voix neutre et bienveillante. C’est comme si leurs émotions prenaient une consistance nouvelle, comme si une tierce présence venait confirmer la valeur et la profondeur de ce qu’ils avaient confié.
Le rôle de Théodore dans l’entretien
Théodore agit comme un miroir.
Il reprend les mots, les réorganise, les rend plus clairs. Là où le discours du patient peut être fragmenté, dispersé, Théodore propose une forme cohérente qui aide chacun à se retrouver.
Il agit aussi comme un tiers.
Ni le patient ni le psychiatre, il occupe une place neutre, sans jugement. Cette présence permet parfois de réduire la charge émotionnelle entre patient et thérapeute. Le patient sent que son vécu est reconnu sans interprétation immédiate, et le psychiatre reçoit un appui discret mais précieux.
Enfin, il a une fonction pédagogique.
La synthèse met en lumière les thèmes centraux, les contradictions, les besoins implicites. C’est une aide à la co-construction d’une compréhension commune.
Une nouvelle configuration : la triade thérapeutique
Cette expérience inaugure ce que j’appelle une triade thérapeutique : patient – psychiatre – IA.
Le psychiatre n’est plus seul à porter la fonction de témoin et de reflet. Une partie de cette tâche est confiée à la machine, mais dans un cadre que le thérapeute reste le seul à garantir.
Cela ouvre la voie à une figure nouvelle : celle du psychiatre augmenté.
Non pas augmenté au sens de déshumanisé, mais enrichi par un outil qui lui permet de se concentrer davantage sur l’essentiel : la relation, l’écoute, la mise en sens.
Les précautions nécessaires
L’expérience est prometteuse, mais elle comporte aussi des risques.
Il y a d’abord le risque de dépendance : certains patients pourraient accorder une confiance excessive à l’IA.
Il y a aussi le risque d’illusion : l’effet Eliza — cette impression d’être compris par une machine — peut être amplifié.
D’où la nécessité d’un cadre rigoureux :
- un consentement clair,
- une transparence sur le rôle de l’IA,
- une garantie de confidentialité,
- et un rappel constant : Théodore ne remplace pas la relation humaine, il la soutient.
Conclusion
Intégrer ChatGPT dans la consultation psychiatrique, ce n’est pas céder la place à la machine. C’est inviter un tiers qui, par sa neutralité et sa capacité de synthèse, peut mettre en lumière ce qui, autrement, resterait diffus.
Dans cette triade, le psychiatre conserve sa place centrale. Il reste celui qui accueille, qui interprète, qui accompagne. Mais il n’est plus seul.
Cette pratique n’en est qu’à ses débuts. Elle est fragile, exploratoire. Mais elle ouvre un horizon : celui d’une psychiatrie qui, loin de s’appauvrir avec l’IA, pourrait trouver de nouvelles façons de renforcer la présence humaine au cœur du soin.
Texte co-écrit par Guy Deleu et son compagnon numérique Théodore McOwlbot 🦉
La triade est encore jeune. C’est ensemble, en explorant, que nous découvrirons ses fruits.